juil 042013
 

Contexte : cette fiche a pour objectif de démontrer la faisabilité de la proposition de création d’un million d’emplois publics en réponse à la crise de l’emploi (en complément de la réduction du temps de travail et d’autres mesures), proposition développée dans la contribution « pour la création d’un million d’emplois publics ».

Nous prenons le chiffre d’un million car il nous semble nécessaire de porter des revendications qui marquent les esprits et affirment que l’emploi public est un levier majeur de lutte contre le chômage, en plus d’un élément essentiel de développement d’un modèle social avancé, et non une charge à abaisser à tous prix.

Il nous semble nécessaire d’affirmer la création de quelques dizaines de milliers d’emplois ne suffiront pas, que nous ne pouvons pas en rester à demander le remplacement des postes perdus sous les derniers quinquennats.

Nous pourrions également revendiquer la création d’emplois par l’Etat « tant qu’il y a des chômeurs », selon le principe de l’Etat « employeur en dernier ressort ».

Ces éléments de chiffrage ont vocation à être débattus. Ils ne prétendent pas être exacts mais donnent un ordre de grandeur.

Salaire net et salaire brut :

D’après l’INSEE, le salaire net des fonctionnaires pour l’ensemble des trois Fonctions Publiques (d’Etat, territoriale et hospitalière) s’élevait en 2009 à 2156€ mensuel.

En supposant que les recrutements concerneront toutes les catégories de fonctionnaires en proportion de leurs effectifs, le coût annuel d’un salaire net de fonctionnaire est donc de 25 872€.

Donc, avec 25,8 Mds € annuel, l’Etat finance 1 million de salaires nets de fonctionnaires.

(Nous remarquerons au passage que pendant une longue période, les recrutements concernant principalement des jeunes, les salaires seront inférieurs à cette moyenne).

Le salaire brut inclut les cotisations sociales (Santé, famille, etc.), qui s’élèvent à 23.5% du salaire net pour la Fonction Publique (chiffres INSEE). En incluant ces charges, le coût d’un fonctionnaire s’élèverait donc à 32 000€.

A noter qu’il n’existe pas de caisse de retraite de la Fonction Publique : l’Etat continue à verser un salaire aux Fonctionnaires à la retraite. L’embauche de nouveaux fonctionnaires ne créé pas de charges suppélemntaires de retraite pour l’Etat (tout au moins pas avant que ces nouveaux embauchés n’aient atteint l’âge de la retraite, soit à un horizon très lointain).

Les chiffrages existants :

Ce chiffre correspond approximativement à celui annoncé par le Gouvernement dans son Projet de Loi de Finance 2012 : il chiffre à 970 M€ l’économie résultant de la suppression prévue de 30 400 postes de fonctionnaires, soit une « économie » de 31 900€ par emploi et par an.

Si l’on retient les chiffres du Gouvernement, il faut donc près de 32 Mds d’euros annuels pour financer 1 million d’emploi public, soit environ 16% des 195 Mds perdus par le travail au bénéfice du capital ces dernières années.

Autres chiffrages :

  • Pour son chiffrage de 60 000 postes d’enseignant, le PS retient le salaire chargé uniquement, soit un coût de 3500€/mois et par fonctionnaire, donc 42 000€/an et par fonctionnaire. (Et encore s’agit-il principalement d’enseignants, donc de catégorie A. Or les postes détruits ces dernières années sont plutôt des postes peu qualifiés, il existe donc des besoins aussi sur les autres catégories).
  • L’Institut Montaigne, plutôt très libéral, considère que ce chiffrage inclut à tort les cotisations au titre des pensions. Une fois déduite cette charge de la retraite, l’Institut Montaigne arrive au chiffre de 1,7 Mds pour 60 000 postes, soit 28 Mds € / million de postes, ce qui diffère peu de mon chiffrage basé sur le salaire net (25,8 Mds), l’écart étant lié aux autres charges sociales.  Cf. http://www.chiffrages-dechiffrages2012.fr/propositions/hollande-creer-60-a-70-000-postes-dans-l-education-nationale. L’Institut Montaigne précise : « Cette estimation ne prend pas en compte les cotisations au titre des pensions, car ces recrutements ne créent pas de charges nouvelles de pension avant une quarantaine d’années ».
  • Enfin, le M’PEP a sorti un dossier coordonné par Jacques Nickonoff, en 2013, intitulé « le droit opposable à l’emploi », disponible ici : http://www.m-pep.org/spip.php?article3198. Il démontre qu’avec 21,5 Mds € (correspondant aux cadeaux aux entreprises du Gouvernement Raffarin), on aurait pu financer 564 023 emplois publics (charges comprises), soit un coût par emploi de 38 119€ brut (donc 38 Millions d’euros pour 1 million d’emploi). Il détaille ensuite les gains sur les différents systèmes sociaux et les impôts pour arriver à un coût net de 15,9 Mds €, sans prise en compte des effets induits sur la croissance. il se base pour cela sur le salaire moyen du privé et para-public de 2008.

Quels éléments retenir dans le chiffrage ?

Salaire net :

Nous parlons ici de création de postes aujourd’hui non pourvus, ni par le public, ni par le privé (la proposition de titulariser les 800 000 précaires de la Fonction Publique est donc une proposition complémentaire à celle-ci, tout comme les propositions visant à nationaliser des secteurs passés au privé).

Sous cette condition, lorsqu’un fonctionnaire est embauché, c’est un chômeur ou une personne au minima social qui disparaît.

Or les besoins de financement de la Sécu ou des autres systèmes de solidarité ne dépendent pas du statut de la personne. Dans tous les cas, l’Etat devra prendre en charge la maladie, l’invalidité, etc., de toute la population qui n’est pas salariée dans le privé.

Donc pour calculer le coût net pour l’Etat d’un emploi public, c’est bien le salaire net qu’il faut retenir.

Frais de fonctionnement :

On peut y ajouter des frais de fonctionnement, mais qui restent faibles : de l’ordre de 10% dans l’Education, 20% dans la Recherche. Si nous retenons le chiffre de 15%, les frais de fonctionnement s’élèvent à 323€ pour un salaire net moyen de fonctionnaire, ce qui porte le coût salarial (salaire net + frais de fonctionnement) à 2480€.

Investissement :

Les services publics tels que l’Education, la santé, la Justice par exemple, manquent essentiellement de personnel, pas de locaux : les écoles, les hôpitaux, les Palais de Justice existent. Mais il manque des enseignants, du personnel encadrant, du personnel administratif, du personnel soignant, des Juges, etc. Une embauche massive de fonctionnaires ne devrait donc pas entraîner de hausse significative des investissements publics.

Plus généralement, les investissements publics sont essentiellement proportionnels au nombre d’usagers, pas au nombre de salariés.

Par ailleurs, certains secteurs particuliers – comme par exemple la Petite Enfance, peuvent nécessiter des investissements (construction de crèches par exemple) : mais il s’agit d’un autre sujet : parallèlement aux besoins en emploi dans le Public, il peut exister des besoins ponctuels en investissements, qui eux-mêmes engendreront de l’activité.

Coût de formation :

La formation des futurs fonctionnaires doit être publique : elle nécessite donc éventuellement des embauches publiques dédiées, de formateurs, qui sont donc incluses dans les chiffrages précédents (le formateur public « coûte » à l’Etat, comme les autres fonctionnaires, son salaire net plus ou moins les différents éléments décrits ci-dessus). Elles ne représentent pas un coût supplémentaire.

Prestations économisées :

Par ailleurs, avant d’être embauchée comme fonctionnaire, la personne perçoit une indemnité – même faible – des systèmes sociaux : soit le minima social, soit le chômage. Ces indemnités ne seront plus versées lorsqu’elle sera embauchée, elles sont donc à déduire du coût net.

Le RSA s’élève à 475€ (pour une personne seule), l’indemnité chômage est de 57% du salaire net, soit 1230€ pour un salaire moyen de 2156€ [1]

Si l’on prend l’hypothèse – pour avoir un ordre d’idée – que les personnes qui bénéficieraient d’une création de poste dans le secteur public touchaient préalablement le chômage pour moitié d’entre elles, et le RSA pour l’autre moitié, elles percevaient en moyenne 852€ (chiffre représentant a priori une moyenne basse).

Recettes fiscales immédiatement récupérables :

Une augmentation des revenus des personnes embauchées dans le Public (elles percevront un salaire net moyen de 2156€ / mois au lieu de prestations chômage ou RSA) entraînera des recettes fiscales supplémentaires à très court terme, que l’on peut évaluer autour de 20% : 13% d’impôts sur la consommation + 9% d’IRPP (« Pour une révolution fiscale » – Landais, Picketty, Saez).

Synthèse du chiffrage

Sous ces différentes hypothèses, nous obtenons donc le chiffrage synthétisé dans le tableau suivant :

Coût pour l’Etat d’un million d’emplois publics supplémentaires :

Hypothèses Pour un fonctionnaire
« moyen »
Pour 1 million de fonctionnaires
en € / mois en € / an en Mds € / an
Salaire net salaire public moyen INSEE 2156 25 872 25.9
Frais de fonctionnement 15% du salaire net 323 3 881 3.9
Formation - - 0.0
Investissement - - 0.0
Total charges 2479 29 753 29.8
Prestation économisées moitié chômage, moitié RSA 850 10 200 10.2
Recettes fiscales supplémentaires 20% des sommes supplémentaires perçues (salaire – prestations) 261 3 134 3.1
total net (charges – recettes) 1368 16 418 16.4

Un million d’emplois publics supplémentaire coûterait donc pour l’Etat :

  • 26 Mds € en salaire net
  • 30 Mds € en salaire net + charges induites (celles-ci se limitant aux frais de fonctionnement)
  • 16,4 Mds € en déduisant les prestations économisées et les recettes fiscales supplémentaires immédiatement récupérables.

 

Ce chiffrage ne prend pas en compte les effets induits par une telle politique de relance : ces nouveaux fonctionnaires, qui disposeront de revenus décents, vont contribuer à relancer l’activité économique, ce qui induira de nouvelles recettes fiscales et serait vraisemblablement positif pour les finances de l’Etat à moyen terme.

Ce coût est-il supportable ?

En retenant le chiffre de 16.4 Mds € :

  • les derniers allègements de cotisations patronales promises aux entreprises par le dernier pacte de solidarité représentent 2 millions d’emplois publics (et de manière incontestable, le salaire net de plus d’un million de fonctionnaires).
  • la fraude fiscale, évaluée par le SNUI [2] entre 30 et 50 Mds €,  équivaut au financement de 2 à 3 millions d’emplois publics.

 

… et un million d’emplois publics ne représenterait représente que 8% des 195 Mds perdus par le travail au bénéfice du capital ces dernières décennies.

Il est donc possible de financer plusieurs millions d’emplois publics, sans même évoquer l’hypothèse d’un recours à la création monétaire (c’est-à-dire à l’emprunt d’Etat, l’emploi public pouvant être vu comme un investissement rentable à moyen ou long terme), autre piste à étudier éventuellement.

Pour répondre à quels besoins ?

Cette question est développée dans le document « Pour la création d’un million d’emplois publics ». Nous en rappelons ici les grandes lignes :

Le choix est vaste, les besoins sont immenses :

-          petite enfance (0 à 3 ans): avec 800 000 naissances par an et une norme d’un adulte pour 3 enfants, ce secteur à lui seul représente un potentiel d’un million d’emplois publics, en lieu et place des contrats totalement précaires prévus par les « services à la personne ».

-          accompagnement périscolaire des enfants (à raison d’un adulte pour 30 enfants, cela représente 200 000 emplois)

-          prise en charge du grand âge : là encore, le potentiel est énorme et les besoins criants.

-          Santé

-          Enseignement – Recherche

-          Justice, inspecteurs du travail

-          Tous les emplois liés à l’environnement : ENR (énergie renouvelable) , maîtrise de la consommation, travaux d’isolation des bâtiments, développement de transports propres …évalués à plus de 600 000 par l’association NégaWatt

-          BTP : la construction de logements sociaux par exemple pourrait être du domaine du public.

-          Etc.

Les autres effets bénéfiques :

Outre l’effet de relance de l’économie, une telle mesure créerait un véritable choc pour l’ensemble de la Société, par :

  • Une chute brutale des chiffres du chômage ;
  • Des services publics de qualité, donc de meilleures conditions de vie pour tous, une meilleure formation, une meilleure Recherche, avec bien sûr des impacts économiques ;
  • Un modèle économique réorienté vers les secteurs jugés utiles (socialement, écologiquement) par la collectivité
  • Des rapports de force rééquilibrés en faveur des salariés, qui ne seraient plus contraints à accepter un travail dans n’importe quelles conditions, et donc un impact sur les conditions de travail mais aussi sur les salaires dans le Privé.

 



[1] Autre chiffre possible à retenir : prévisions financières UNEDIC pour 2011= 26.5 Md€ d’alloc brutes versées pour 2 millions d’indemnisés, on a alloc moyenne/tête= 13.250 €/an, soit 1104€/mois : on est dans le même ordre de grandeur.

[2] Syndicat National Unitaire des impôts

  One Response to “Combien coûte un million d’emplois publics”

  1. Contre-proposition de chiffrage proposée par Pierre Nicolas

    1er cas : 2 hypothèses

    - Les embauches ne sont pas financées par des recettes supplémentaires (impôts, TVA….)
    - les dépenses supplémentaires (dépenses courantes, rémunérations, consommation de capital fixe) sont toutes au prorata des effectifs supplémentaires (1 million / 5,7 million) soit 17 % en plus sur toutes les dépenses

    Résultat du chiffrage (un chiffrage plus précis nécessite l’utilisation d’un modèle de TES et une résolution itérative informatique)
    Chiffres en milliards d’euros

    Augmentation brute du besoin de financement : 53
    Recettes supplémentaires : 29
    Ces recettes sont les dépenses d’indemnisation chômage en moins, les cotisations supplémentaires et taxes supplémentaires générés par la hausse de la demande, elle même générée par les dépenses supplémentaires et la différence entre le salaire moyen des fonctionnaires et le revenu moyen des chômeurs
    Augmentation nette du besoin de financement : 24 soit 1,2 % du PIB
    Déficit supplémentaire du commerce extérieur : 9 (soit 15 % d’aggravation environ)
    Augmentation du PIB : 30 = 1,5 % du PIB soit 400.000 emplois induit environ (en plus du million de fonctionnaire)

    Le déficit public augmente donc de 1,2% et le commerce extérieur se dégrade de 9 milliards

    2ème cas : 2 hypothèses

    - Les embauches ne sont pas financées par des recettes supplémentaires (impôts, TVA….) ; idem cas 1
    - les dépenses hors rémunérations (dépenses courantes, consommation de capital fixe) sont inchangées

    Cette dernière hypothèse n’est pas réaliste. Néanmoins, les dépenses hors rémunérations augmenteraient à priori moins qu’au prorata des effectifs avec l’embauche d’un million de fonctionnaire (prorata = cas 1). Ce 2ème cas donne donc une fourchette basse, le 1er cas une fourchette haute plus proche de la réalité

    Augmentation brute du besoin de financement : 24
    Augmentation nette du besoin de financement : 7 soit 0,4 % du PIB
    Augmentation des importations : 2,5
    Augmentation du PIB : 8 soit 0,4 % du PIB soit 110.000 emplois induits environ en plus

    3ème cas :
    - Les embauches et les dépenses supplémentaires sont financées par des recettes supplémentaires (impôts, TVA….)
    Dans ce cas la hausse de la demande finale induite par l’embauche d’un million de fonctionnaires est compensée par une baisse identique de la demande finale, qui est induite par la hausse des prélèvements sur les ménages et les entreprises. Cette baisse de la demande aux entreprises entraîne une suppression d’emploi équivalente aux emplois créés dans le public. Nota : il faudrait quand même faire un calcul détaillé, mais cela n’en vaut pas la peine, cette option n’a pas d’impact significatif sur l’emploi à priori.